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le second rang du collier

Il aimait que l’on fût gai au déjeuner, que l’on y vînt avec des visages souriants, des mines reposées et bienveillantes. Rien ne le tourmentait comme de découvrir un pli de maussaderie ou de préoccupation sur les figures, et il fallait lui expliquer longuement les motifs d’ennui ou d’inquiétude, pour qu’il pût les détruire au plus vite, si c’était possible. Quand l’air grognon persistait, il arrangeait les bouteilles sur la table, y appuyant un journal pour se faire un paravent et ne pas voir.

On se fâchait quelquefois de son insistance à étudier les plus fugitifs mouvements des traits, qui la plupart du temps n’avaient pas de cause explicable : alors il nous reprochait avec véhémence de ne pas lui rendre la pareille, de ne pas chercher à nous rendre compte, d’après sa physionomie, de l’état de son humeur et de sa santé. Et il nous répétait la légende du pain à cacheter vert, qu’il avait gardé trois jours au milieu du front, sans que personne le vît.

— Moi, j’ai la bosse de l’approbativité, disait-il ; si vous saviez la phrénologie et si vous tâtiez mon crâne, vous verriez tout de suite que cette proéminence est presque monstrueuse chez moi. J’ai le besoin d’être approuvé, en tout et par tous, même par les bonnes, même par le chat. Je suis opprimé et malheureux à la moindre opposition, au plus petit désaccord, et la mauvaise humeur me semble toujours dirigée contre moi.