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le second rang du collier

marche devant l’homme, un assez grand chien à longs poils et horriblement crotté. Il va, le nez sur une piste, la queue basse, frangée de boue et frôlant le sol… Pourquoi l’homme marchait-il si près de ce chien, qui n’avait pas l’air d’être son chien ?

Tout à coup, la distance diminuant, je reconnus le promeneur : c’était Charles Baudelaire.

Il venait chez nous, certainement, mais quelle idée avait-il ? Que lui avait fait ce vulgaire toutou, qui ne le voyait même pas ?

Je crus comprendre que Baudelaire cherchait à lui marcher sur la queue, non pas dans une méchante intention, mais, sans doute, pour jouir de la surprise et de la frayeur de l’animal, pour voir ce qu’il ferait.

Il le vit !…

Le promeneur ayant réussi à presser, du bout de son pied, la pointe de la queue du chien, celui-ci poussa un hurlement de peur, mais aussitôt il se retourna et se jeta sur l’homme, qui tomba en pleine boue jaune ! Par bonheur, les représailles ne furent pas poussées plus loin : le chien détala, retournant vers l’avenue.

J’avais retenu un cri, au moment de la chute ; mais je m’étais en même temps rejetée en arrière, ayant le sentiment que le poète, si correct, si soucieux de l’harmonie, serait très vexé d’être vu en cette posture. Cependant, s’il s’était fait mal ?…

Je regardai, sans me montrer. Baudelaire s’était