Page:Gautier - Le Second Rang du Collier.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
72
le second rang du collier

Je contiens à grand’peine un fou rire, qui va m’échapper, quand ma mère dénonce notre présence en criant :

Brava !

Alary se retourne brusquement, en faisant pivoter le tabouret, puis se lève, comme un diable jaillit d’une boîte. Long, maigre, avec une barbiche blonde, la bouche béante, et ses mèches pâles s’embrouillant dans le fil de son lorgnon.

L’harmonieuse langue italienne résonne alors, dans l’effusion de l’accueil et l’échange des politesses.

Giulia Grisi est belle, toujours. Elle n’entend pas se laisser vaincre par le temps. Ce n’est plus peut-être, tout à fait, la statue parfaite qui inspira à mon père ce poème si enthousiaste, cet hymne à la beauté, où il regrette, voyant la cantatrice pour la première fois, d’avoir abandonné les pinceaux pour la plume. C’était à la salle Favart, pendant une représentation de Mosè :


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
J’aperçus une femme. Il me sembla d’abord,
La loge lui formant un cadre de son bord,
Que c’était un tableau de Titien ou Giorgione.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Vous n’avez pas menti, non, maîtres : voilà bien
Le marbre grec doré par l’ambre italien,
L’œil de flamme, le teint passionnément pâle,
Blond comme le soleil sous son voile de hâle,
Dans sa mate blancheur les noirs sourcils marqués,
Le nez sévère et droit, la bouche aux coins arqués,