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le second rang du collier

Dans le salon, les convives sont maintenant réunis et causent par groupes, assis ou debout… Tous n’ont pas été invités : la maison est hospitalière et la table s’allonge indéfiniment. Nombre d’artistes italiens, jeunes ambitions ou espérances déçues, sont les clients de ces gloires ; ils évoluent dans leur atmosphère, attirant sur eux un peu de lumière, ou se réchauffant à leur rayonnement.

Beaucoup de personnes connues, fameuses même en ce temps-là, sont les intimes des deux grands artistes et leur forment une cour.

Ce soir, j’aperçois la jolie barbe noire de Gaetano Braga, le délicieux violoncelliste, qui est aussi, et surtout, compositeur. On a représenté de lui, au Théâtre-Italien, un opéra en trois actes : Margherita la Mendicante, et sa Sérénade, pour chant avec accompagnement de violoncelle et de piano, a fait fureur. Braga vient souvent nous voir à Neuilly : nous nous glissons à travers les groupes, ma sœur et moi, pour aller lui dire bonsoir.

Il n’a pas l’air, tout d’abord, de nous reconnaître, puis nous regarde d’un air consterné :

— Pourquoi vous a-t-on déguisées comme cela ?

Nous ne pensions plus à nos toilettes !

— Avec de si jolies figures… On veut donc vous enlaidir ?…

Et il s’éloigne, en haussant les épaules.

Nous allons rejoindre Giulia Grisi, dans le petit salon. Elle est assise sur un divan avec ses fillettes