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besoin étrange d’être seul… Il part, visite à divers intervalles, la Corse, l’Algérie, la Tunisie, la Suisse, l’Italie — deux fois —, excursionne en Bretagne, en Auvergne, fait sur un bateau qui lui appartient des croisières solitaires et délicieuses en Méditerranée, au long de la Côte d’Azur, et se complaît dans cette « vie errante ». Entre temps, il fait des fugues à Paris, où il est recherché, fêté. Il a la fortune. Il a la gloire. On le croit heureux.

Flatteuse erreur ! Et voici le triste retour du sort.

Sa santé s’est altérée à ce régime de détestable hygiène et de travail intellectuel excessif. On trouve la trace visible de cette altération dès 1884, dans une nouvelle publiée à cette époque, Lui, puis dans le Horla (1887). Le public, ignorant de son état réel, s’y trompe et prend pour jeu d’esprit, pour inventions littéraires, ces désolantes peintures d’un corps malade et d’une âme déjà en déroute. Mais les troubles pathologiques s’accentuent, les signes de désorganisation cérébrale augmentent. Ils sont frappants dans le morceau intitulé Qui sait ? (1890).

À partir de ce moment, l’infortuné écrivain, pressentant son affreuse déchéance, ne lutte plus. Il se livre aux médecins, fait un séjour aux eaux de Divonne, ensuite à Champel, pendant l’été de 1891 et, le mal n’ayant pu être enrayé, il s’achemine inconsciemment vers l’inéluctable catastrophe.

Ici se place un douloureux épisode, sa tentative de suicide à Cannes, au Chalet de l’Isère, le 1er janvier 1892.

Puis, c’est l’internement dans la maison du docteur Blanche, à Paris ; puis, la dépouille humaine qui languit, triste épave, et vit encore dix-huit mois d’agonie purement physique, car le malheureux « s’animalisait », ne souffrait plus… Cette belle intelligence s’était éteinte avant la mort réelle, qui survint le 6 juillet 1893.