Page:Gistucci - Le Pessimisme de Maupassant, 1909.djvu/27

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plus profonde, à la plus amère rêverie… Il nous semble que tout le pessimisme de Maupassant est là inclus, dans ces lignes déchirantes, où s’exhale toute la tristesse d’une âme désemparée.

Que cette page, d’ailleurs, ait été écrite sous l’influence de l’éther — comme l’auteur en fait l’aveu —, de la « drogue » absorbée pour combattre une migraine violente, peu importe. Nous voyons là une admirable méditation, ou plutôt une lamentation sur l’humaine misère, une plainte d’une éloquence que nul poète n’a jamais égalée.

Et l’on voit assez que cette mélancolie n’est pas celle de Lamartine, plus douce, ni celle de Vigny plus hautaine, ni celle de Chateaubriand, dont l’orgueilleux lyrisme se berce « à la musique de sa douleur ». C’est le gémissement éternel de la créature, en face du malheur de la vie. C’est aussi le soupir d’une âme « d’élite » chez qui le pessimisme revêt des couleurs nouvelles, se charge, pour ainsi dire, de tous les éléments qu’apporte au sentiment et à la pensée la complexe et inanalysable mélancolie de notre temps.

L’être qui souffre ainsi est atteint d’une maladie morale incurable, mortelle, et ne pourra plus savourer aucune joie. Il renoncera à la société des hommes. Il prendra le goût morbide de la solitude. Il finira vite par avoir l’horreur « du visage humain ».

C’est pourquoi Maupassant vécut seul, une fois les années de jeunesse passées. Il cacha sa vie, dissimula son être intime. La publication des lettres de Flaubert lui parut une profanation. Lui-même élevait des barrières contre les indiscrétions. Il défendait qu’on publiât son portrait : « Nos œuvres appartiennent au public, disait-il, mais pas nos figures ».

Il fréquenta très peu les salons. Ce n’était pas un homme de cénacle. Il avait le dédain des enseignes, des attaches officielles,