Page:Gistucci - Le Pessimisme de Maupassant, 1909.djvu/38

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Que Maupassant fut un idéaliste, malgré tout, un idéaliste honteux. En dépit de ses fureurs de négation, il a senti, comme le commun des hommes, battre en lui un cœur, un pauvre cœur vulnérable et vibrant. Il a avoué cette faiblesse, quand il écrivait : « Je suis de la famille des écorchés. Mais cela, ajoutait-il, je ne le montre pas. Je le dissimule même très bien, je crois ».

Il ne l’a pas assez dissimulé.

En fin de compte, né avec la plus admirable organisation qui fût, pour penser, aimer, agir dans le sens de ce que nous appelons, faute d’autre mot, l’Idéal, Maupassant aurait pu être heureux. Mais la maladie est intervenue. Congénitale ou adventice, elle a faussé les touches délicates de ce puissant clavier cérébral qui était le sien. Elle a assombri son âme, en troublant sa vie.

Faut-il le regretter ? Oui, pour sa vie mortelle, qui fut trop courte et trop malheureuse. Mais n’est-il pas vrai que son talent a reçu de là une part de sa puissance et de son éclat ? « Pascal aussi clairvoyant et plus raisonnable, Pascal aussi éloquent et moins déchiré attirerait moins notre regard », disait Prévost-Paradol. De même Maupassant aurait été, à coup sûr, moins émouvant, s’il avait été moins pessimiste. Et il n’aurait pas été pessimiste si la maladie ne lui avait versé son poison.

La maladie, en ruinant son corps, a singularisé son génie et finalement servi sa gloire.

Il avait, certes, des dons intellectuels extraordinaires : puissance, mesure, clarté, toutes les qualités du génie de notre race. Mais il aurait pu, avec cela, n’être qu’un auteur gai, le « Prince des conteurs ». Tandis que sa souffrance et sa mélancolie, répandant sur son esprit leur crêpe noir, lui ont donné cette valeur, ce fonds classique de pensée qui produit les pages