Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/105

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La nuit vint, orageuse, mais sans pluie, et nous la passâmes presque sans sommeil dans notre graveleuse et triste saulaie.

3 octobre 1792.

Le lendemain, à six heures, nous quittâmes cette place et, franchissant une colline, nous arrivâmes à Grandpré, où nous trouvâmes les troupes campées. Là, nouvelle douleur et nouveaux soucis : le château avait été transformé en Hôpital, et il renfermait déjà plusieurs centaines de malheureux, qu’on ne pouvait ni secourir ni soulager. Nous passâmes avec horreur, et nous dûmes les abandonner à l’humanité de l’ennemi.

Là nous fûmes de nouveau surpris par une furieuse pluie, qui paralysa tous les mouvements.

4 octobre 1792.

La difficulté d’avancer devenait toujours plus grande, et, pour éviter la route, qui était impraticable, on essaya de prendre à travers champs.

Le sol, de couleur rougeâtre, plus tenace encore que la terre crayeuse, empêchait toute marche. Les quatre petits chevaux pouvaient à peine traîner mon coupé. Je voulus du moins les soulager du poids de ma personne. Je ne voyais point de cheval de selle à ma portée : le grand fourgon de cuisine, attelé de six forts chevaux, vint h passer. J’y montai. Il n’était pas tout à fait dégarni, mais la fille de cuisine était blottie dans le coin et paraissait fort triste. Je me livrai à mes études. J’avais tiré du coffre le troisième volume du dictionnaire de physique de Gehler. Un dictionnaire est une fort bonne compagnie dans de pareilles circonstances, où chaque moment amène une interruption, et il procure d’ailleurs la meilleure distraction en nous faisant passer d’un sujet à un autre.

On s’était engagé imprudemment dans ces champs d’argile rouge, tenaces, ça et là ruisselants : dans ces terres labourées, le robuste attelage du fourgon de cuisine finit par manquer de force. J’étais, dans cet équipage, comme la parodie de Pharaon dans la Mer Rouge: car, autour de moi. cavaliers et fan-