Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/63

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Mercredi 24 avril. — Le joli et curieux intérieur pour un romancier, que la chambre de Mme de Girardin. Cette chambre, elle l’a fait non tendre, mais ainsi qu’elle le dit « habiller » de satin brodé par Worth, moyennant 60 000 francs. La maîtresse, sans doute par suite de la confection d’un petit Girardin, est toujours couchée. Près de son lit, est dressé un guéridon, où le philosophe Caro mange à côté d’elle, et lui fait des conférences sur la Cité de Dieu.

Mercredi 8 mai. — Il y a chez Théophile Gautier, non point encore une diminution de l’intelligence, mais comme un ensommeillement du cerveau. Quand il parle, il a toujours l’épithète peinte, le tour original de la pensée, mais pour parler, pour formuler ses paradoxes, on sent dans sa parole plus lente, dans le cramponnement de son attention après le fil et la logique de son idée, on sent une application, une tension, une dépense de volonté qui n’existaient pas dans le jaillissement spontané, et comme irréfléchi et irraisonné de son verbe d’autrefois. Vous avez vu des vieillards à la vue fatiguée, qui, pour regarder, soulèvent avec effort leurs lourdes paupières, eh bien, Théo, pour parler, a besoin d’un effort physique semblable de tout le bas du visage, et tout ce qui sort maintenant de lui, semble être arraché, par de la volonté douloureuse, à l’engourdissement d’un état comateux.