Page:Goncourt - La Femme au dix-huitième siècle, 1882.djvu/98

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gré la dureté de ses traits et de sa voix, plaisante sans réputation d’esprit, sans mots à citer[1], Mme de Grammont s’attachait les gens par des qualités un peu masculines, et surtout par une étude de politesse, poussée jusqu’à l’infiniment petit du détail, jusqu’à la dernière nuance : jamais elle ne laissait entrer personne dans son salon sans se lever, entamer une conversation debout et la finir avant de se rasseoir[2]. Son salon était assiégé dès le matin ; et la maîtresse à peine éveillée, sa porte était poussée par les princes, les plus grands seigneurs, les plus grandes dames. Toute la politique du temps y aboutissait ; tous les secrets de Versailles, jusqu’aux secrets d’État, y tombaient d’heure en heure : ce salon avait le mouvement, l’autorité, les portes secrètes, les profondeurs voilées et redoutables d’un salon de maîtresse de roi. Tout le jour, les gens en place et postés au plus haut de la faveur s’y pressaient, accourant demander des conseils à cette intelligence de femme rompue à la pratique des affaires, soumettant leurs plans, confiant leurs projets à cette exilée volontaire de Versailles, qui, de Paris, touchait à tout ce qu’il y avait de grand à la cour et de caché dans le ministère. Toutefois, si grande que fût dans ce salon la préoccupation de la politique, les lettres n’y étaient pas oubliées, et elles faisaient comme un

  1. Portraits et Caractères, par Senac de Meilhan. Dentu, 1813.
  2. Mélanges extraits des manuscrits de Mme Necker. Pougens, an VI, vol. II.