Page:Gourmont - Le IIme Livre des masques, 1898.djvu/30

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que la sensualité de l’homme s’exalte, s’avoue avec moins de pudeur, mais toujours sœur d’un sentiment et alors toujours pure malgré sa franchise et la nudité de ses gestes. Ce triple aspect humain, orgueil, émotion, sensualité, le poème en dialogue, appelé Un Jour, le développe, en couleurs vives et douces : quatre scènes où la poésie vole au-dessus d’une vie monotone et presque triste, quatre images très simples, et même, si l’on veut, naïves, mais d’une naïveté qui se connaît et qui connaît sa beauté. Plus que d’ambitieuses paraphrases c’est bien là la journée (ou la vie) d’un poète, qui perçoit le monde extérieur d’abord comme une sensation brute (ainsi que tout autre homme), puis en dégage aussitôt, en son esprit prompt aux généralisations, la signification symbolique ou absolue. Et tout ce poème est plein de vers admirables et graves, des vers d’un vrai poète dont le génie encore en croissance éclate, tel des rayons de soleil à travers une haie d’acacias :


C’est la mère douce aux cheveux gris dont tu es né.

Les gens pauvres et fiers sont pareils à des cygnes.

Cache-lui ton ennui parce qu’elle est une femme.
Elle est trop jeune pour pouvoir porter deux âmes.