Page:Grenier - Souvenirs littéraires, 1894.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

quittant Paris, au mois de mai 1868. Je le trouvai dans sa chambre à coucher, assis au coin de la cheminée, morne et la tête penchée, près de sa nièce, fidèle et admirable compagne, tristes et silencieux tous les deux. En m’informant de sa santé, je lui dis que les beaux jours allaient revenir et que j’espérais pour lui l’influence bienfaisante du printemps. « Oui, bégaya-t-il, le printemps, les hirondelles... » Et il ne put achever sa pensée ; et cette tête, jadis si belle, retomba sur sa poitrine après cet effort. Les larmes me vinrent aux yeux, et je me hâtai de reprendre la parole pour jeter bien vite un voile sur cette déchéance et cet état plus douloureux pour les autres que pour le malade lui-même. J’abrégeai ma visite, et, comme Mlle  Valentine m’accompagnait quelques pas, j’osai lui dire que ce n’était plus lui, qu’elle n’avait devant les yeux qu’une lente agonie et que la mort serait un bienfait. « Oh ! non, me répondit la noble femme avec élan, non ! le garder toujours ! même ainsi ! »

Elle n’eut pas longtemps à le garder : Lamartine s’éteignit, le 28 février de l’année suivante, au milieu de ses soins et de ses larmes. La mort fit pour lui ce qu’elle n’accorde pas à tout le monde : elle lui rendit sa beauté ; et ce noble visage, défiguré par l’âge et la maladie, reprit à l’instant, avec la majesté de la mort, sa physionomie primitive et le sceau que lui avait imprimé le