Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/101

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— Prendre de l’argent.

— Pour qui ?

— Pour elle.

— Ah oui, elle, elle, toujours ! Ah ! Pedrillo, tu l’aimes donc bien ?

— Oui.

— Grâce ! Oh ! ne m’accable plus de sa présence, de son nom, de sa beauté ; je t’en prie, aime-moi ! Que te faut-il pour te plaire ? mais, je t’en prie, ne m’en parle plus !

Cette femme, le visage ensanglanté, les habits déchirés, pleurant, se tordant de rage à ses pieds, l’attendrit un moment.

— Que veux-tu, ma Marguerite ?

— Pedrillo, laisse pour maintenant, mais un jour, quand elle, tu m’entends ? elle, quand elle m’aura tuée par ses insultes, tu sais comme le lion de Numidie rugit bien dans sa cage, tu sais avec quelle volupté il dévore la viande qu’on lui donne le soir ? eh bien, un jour, je te demanderai le même honneur.

— Qu’as-tu, voyons, Marguerite, reviens à toi !

— Ce que j’ai ? je suis jalouse ! Ah ! tu ne l’as jamais été, toi ! Ce que j’ai ? je suis folle peut-être, je n’en sais rien, mais je la hais et je t’aime !

X

Il fait chaud, le soleil darde ses rayons sur la route pleine de poussière, les pommiers qui la bordent ont leurs feuilles toutes brûlées. C’est par ces vigoureuses chaleurs du mois de juin qu’il est doux de se laisser ballotter par le mouvement de la calèche, de s’abandonner à quelque rêve plein de poésie, tandis que les rideaux bleus des vasistas sont fermés et laissent passer cependant quelque petit nuage de poussière chassé par le vent et qui vient couvrir vos habits.