Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/11

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— Oui, continua le corsaire, oui, à moi Vanina ! ou demain je fais bombarder Gênes, demain j’aurai Vanina ; et à toi l’esclavage et le malheur. Ton trône ? je le foulerai aux pieds, et ton palais, j’en ferai une prison pour toi. Vous pensiez donc qu’aucun sentiment ne pouvait m’émouvoir, vous croyiez que l’amour ne pouvait surgir de ce cœur de marin ; vous croyez que les passions ne remuent pas aussi fort le cœur d’un paysan que celui d’un roi ? Et pourtant s’il est ici une tête couronnée et un corsaire, le corsaire est roi et le monarque est esclave.

— Soit, répondit le doge, tu peux être le maître, mais souviens-toi de mes paroles, San Pietro : jamais, jamais, tu n’auras ma fille, je te la refuse ; et si tu peux conquérir ce trône, si tu peux, dans ta rage de tigre, le souiller et l’anéantir, si tu peux dans ta vengeance féroce incendier ce palais, si tu peux, démon, briser mon sceptre et ma couronne…, jamais tu n’auras Vanina, et Gênes sera plutôt ton esclave que ma fille ta maîtresse ! En effet, quelquefois la servitude forcée ennoblit les rois, mais le déshonneur volontaire les souille et les flétrit.

— Eh bien, demain, tu n’auras plus Vanina, dit le corsaire d’un ton solennel ; dans trente jours tu n’auras plus Gênes et dans trente et un jours, à un seul mot du corsaire, cette tête tombera.

Puis il descendit les degrés du palais, et, se retournant tout à coup avec ironie et dédain :

— Il est dommage, dit-il, de brûler une si belle colonnade !

III

Vers minuit, on vit débarquer une douzaine d’hommes sur la grève ; il y en avait un qui, couvert d’un masque noir, portait une longue dague et un riche cimeterre ; deux pistolets reluisaient à sa cein-