Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/119

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ment que le meilleur chasseur des États du pape.

C’était donc l’aîné, le chéri de la famille : à lui tous les honneurs, les gloires, les titres et les dignités ; au pauvre Garcia, l’obscurité et le mépris.

Cosme chérissait son fils aîné, il avait demandé pour lui le cardinalat, il était sur le point de l’obtenir, tandis que le cadet était resté simple lieutenant dans les troupes de son père.

Il y avait déjà longtemps que la haine de Garcia couvait lentement dans son cœur, mais la prédiction de la vieille compléta l’œuvre que l’orgueil avait commencée. Depuis qu’il savait que son frère allait être cardinal, cette idée-là lui faisait mal ; dans sa haine il souhaitait la mort de François.

« Oh ! comment, se disait-il à lui-même en pleurant de rage et la tête dans ses mains, oh ! comment ! cet homme que je déteste sera Monseigneur le cardinal François ! plus qu’un duc ! qu’un roi ! presque le pape ! et moi… Ah ! moi, son frére, toujours pauvre et obscur, comme le valet d’un bourgeois ! Quand on verra dans les rues de Florence la voiture de Monseigneur qui courra sur les dalles, si quelque enfant ignorant des choses de ce monde demande à sa mère : Quels sont ces hommes rouges derrière le cardinal ? — Ses valets. — Et cet autre qui le suit à cheval, habillé de noir ? — Son frère. — Son frère, qui le suit à cheval ! Ah ! dérision et pitié ! Et dire qu’il faudra respecter ce cardinal, qu’il faudra l’appeler Monseigneur et se prosterner à ses pieds ! Ah ! quand j’étais jeune et pur, quand je croyais encore à l’avenir, au bonheur, à Dieu, je méprisais les sarcasmes de l’impie ; Ah ! je comprends maintenant les joies du sang, les délices de la vengeance et l’athéisme et l’impureté ! »

Et il sanglotait.

Le jour était déjà venu, quand on vit de loin accourir un courrier aux armes du pape. Il se dirigea vers le palais ducal ; Garcia le vit, et il pleura amèrement.