Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/139

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— Quoi ! dit le marchand en ouvrant les yeux, ne voulez-vous pas parler d’un livre que j’ai ? regardez !

— L’imbécile ! dit Giacomo en frappant du pied, en as-tu d’autres que ceux-là ?

— Oui, tenez, les voici.

Et il lui montra un petit paquet de brochures liées avec des cordes. Giacomo les rompit, en lut le titre en une seconde.

— Enfer ! dit-il, ce n’est pas cela. Ne l’as-tu pas vendu par hasard ? Oh ! si tu le possèdes, donne, donne ; cent pistoles, deux cents, tout ce que tu voudras.

Le bouquiniste le regardait étonné :

— Oh ! vous voulez peut-être parler d’un petit livre que j’ai donné hier, pour huit maravédis, au curé de la cathédrale d’Oviedo ?

— Te souviens-tu du titre de ce livre ?

— Non.

— N’était-ce pas : Mystère de saint Michel ?

— Oui, c’est cela.

Giacomo s’écarta à quelques pas de là et tomba sur la poussière comme un homme fatigué d’une apparition qui l’obsède.

Quand il revint à lui, il faisait soir et le soleil qui rougissait à l’horizon était à son déclin. Il se leva et rentra chez lui, malade et désespéré.

Huit jours après, Giacomo n’avait pas oublié sa triste déception, et sa blessure était encore vive et saignante ; il n’avait point dormi depuis trois nuits, car ce jour-là devait se vendre le premier livre qui ait été imprimé en Espagne, exemplaire unique dans le royaume. Il y avait longtemps qu’il avait envie de l’avoir ; aussi fut-il heureux, le jour qu’on lui annonça que le propriétaire était mort.

Mais une inquiétude lui tenait à l’âme : Baptisto pourrait l’acheter, Baptisto, qui, depuis quelque temps, lui enlevait, non les chalands, peu lui importait ! mais