Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/157

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lieu de le tuer comme tout autre eût fait à sa place, il se contenta de le repousser du pied.

M. Ohmlin écouta longtemps, bien longtemps, rien ! il écouta encore, rien ! Oh ! c’était fini, il fallait mourir ! Mourir, comme il l’avait prévu, de cette mort horrible et cruelle qui arrive à chaque minute, vous brûle à petit feu, vous mange avec délices ! Et quand mourir ? Quand finira ce supplice, cette agonie, ce râle qui dure des siècles ?

Et il se mit a rire de pitié pour ses anciennes croyances, et puisque le ciel n’avait pas voulu le sauver, il appela l’enfer ; l’enfer vint à son secours et lui donna l’athéisme, le désespoir et les blasphèmes.

D’abord, il douta de Dieu, puis il le nia, puis il en rit, puis il insulta ce mot : « Bah ! se disait-il en riant d’un rire forcé, où est-il le créateur des misères ? où est-il ? qu’il vienne me délivrer s’il existe !… Je te nie, mot inventé par les heureux ; je te nie, tu n’es qu’une puissance fatale et stupide, comme la foudre qui tombe et qui brûle. »

Et il s’arrachait les cheveux et se déchirait le visage avec les ongles : « Tu crois que j’irai te prier à mon heure dernière ? Oh ! je suis trop fier et trop malheureux, je n’irai pas t’implorer, je t’abhorre ! L’éternité ? je la nie ! Ton paradis ? chimère ! Ton bonheur céleste ? je le méprise ! Ton enfer ? je le brave ! L’éternité ? c’est une tête de mort qu’on trouvera dans quelques mois, ici, à ma place. »

Le rire était sur son front et les larmes étouffaient sa voix : « Moi, bénir la main qui me frappe ! embrasser le bourreau ! Oh ! si tu peux prendre la forme humaine, viens dans ma tombe avec moi, que je t’emporte aussi vers l’éternité qui te dévorera un jour, que je te livre au néant qui te donne son nom. Viens ! viens ! que je te broie, que je t’écrase entre ma tombe et moi, que je mange ta chair ! Fais-toi quelque chose de palpable pour que je puisse te déchirer en riant ! ».