Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/184

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— Quand arriverai-je ? demandait-elle souvent.

Et son regard mélancolique s’élançait dans l’horizon qui ne lui offrait qu’une obscurité profonde. Enfin elle reconnut, après bien longtemps, la masure de son père. L’étranger était toujours à ses côtés, il ne disait plus rien, seulement son visage était gai et il souriait comme un homme heureux ; quelques mots d’une langue inconnue échappaient de ses lèvres, et puis il prêtait l’oreille attentivement, silencieux et la bouche béante.

— Aimes-tu le duc Arthur ? demanda-t-il encore une fois.

— Je le connais à peine, et puis, que vous importe ?

— Tiens, le voilà ! lui-dit-il.

En effet, un homme passa devant eux, il était nu jusqu’à la ceinture, son corps était blanc comme la neige ; ses cheveux étaient bleus et ses yeux avaient un éclat céleste.

L’inconnu disparut aussitôt.

Julietta se mit à courir, puis, arrivée à une porte en bois entourée d’une haie, elle se cramponna au marteau de fer et sonna à coups redoublés. Un vieillard vint ouvrir, c’était son père.

— Pauvre enfant, lui dit-il, d’où viens-tu ? entre !

Et la jeune fille aussitôt se précipita dans la maison, où sa famille l’attendait depuis plusieurs heures avec angoisse ; chacun aussitôt poussa des cris de joie, on l’embrassa, on la questionna, et l’on se mit à table autour d’un énorme pot en fer d’où s’exhalait une vapeur épaisse.

— As-tu ramené les vaches ? lui demanda sa mère.

Et sur sa réponse affirmative, elle lui prescrivit d’aller les traire. Julietta sortit et revint au bout de quelques minutes, apportant un énorme seau de fer-blanc qu’elle déposa avec peine sur la table… mais c’était du sang.