Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/187

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Elle sortit, monta la colline d’un pas rapide ; arrivée au haut, elle s’assit, mais le bas de ses vêtements et ses pieds ruisselaient, elle avait marché dans la rosée, tant, ce jour, elle était folle et dormeuse tout à la fois ; elle courait, puis s’arrêtait tout à coup, portait sa main à son front, et regardait de tous côtés s’il n’allait pas venir.

Il ! car elle aimait, la pauvre enfant ! elle aimait un grand seigneur, riche, puissant, qui était beau cavalier, avait des yeux fiers et un sourire hautain ; elle aimait un homme étrange, inconnu, un démon incarné, une créature, pensait-elle, bien élevée et bien poétique.

Non ! rien de tout cela, car elle aimait le duc Arthur d’Almaroës.

D’autres fois, elle retombait dans ses rêveries et souriait amèrement, comme doutant de l’avenir, et puis elle pensait à lui, elle se le créait là, assis sur l’herbe perlée, à côté d’elle ; il était là, là, lui disant de douces paroles, la regardant fixement de son regard puissant ; et sa voix était douce, était pure, était vibrante d’amour, c’était une musique toute nouvelle et toute sublime. Elle resta ainsi longtemps, les yeux fixés sur l’horizon qui lui apparaissait toujours aussi morne, aussi vide de sens, aussi stupide.

Le soir arriva enfin, après ce long jour d’angoisses, aussi long que la nuit qui l’avait précédé. Julietta resta encore longtemps après le coucher du soleil, et puis elle revint, elle descendit lentement la montagne, s’arrêtant à chaque pas et écoutant derrière elle, et elle n’entendait que la cigale qui sifflait sous l’herbe, et l’épervier qui rentrait dans son nid en volant a tire d’ailes.

Elle s’en allait donc ainsi, triste et désespérée, la tête baissée sur son sein tout gonflé de soupirs, tenant de sa main gauche la corde toute humide qui tenait sa pauvre vache blanche qui boitait de l’épaule droite. C’était sur celle-là que Satan s’était assis.