Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/193

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— Tu n’es peut-être pas un homme, dit Satan… mais tu as une âme.

— Eh bien, Satan, j’irai demain sur la falaise.

Et le lendemain, quand le concierge fit sa tournée dans les corridors, il trouva que les dalles étaient dérangées et usées toutes, de place en place, comme par une griffe de fer. Le brave homme en devint fou.

IX

Julietta attendait le duc, elle l’attendait jour et nuit, courant sur les rochers, elle l’attendait en pleurant, elle l’attendait depuis quatre années.

Car les ans passent vite dans un récit, dans la pensée ; ils coulent vite dans le souvenir, mais ils sont lents et boiteux dans l’espérance.

Le jour, elle se promenait sur la plage, écoutait la mer et regardait de tous côtés s’il n’allait pas venir ; et puis quand le soleil avait échauffé les roches, quand, épuisée, elle tombait de fatigue, alors elle s’endormait sur le sable, et puis se relevait pour aller cueillir des fruits, chercher le pain que des âmes charitables déposaient dans une fente de roches.

La nuit, elle se promenait sur les falaises, errante ainsi avec ses longs vêtements blancs, sa chevelure en désordre, et des cris de douleur ; et elle restait assise des heures entières sur un roc aigu, à contempler, au clair de lune, les vagues brisées qui venaient mourir sur la grève et mousser en blanches écumes entre les rochers et les galets.

Pauvre folle ! disait-on, si jeune et si belle ! vingt ans à peine… et plus d’espoir !… Dame ! c’est sa faute aussi, elle est folle d’amour, d’amour pour un prince ; c’est l’orgueil qui l’a perdue, elle s’est donnée à Satan.

Oui, bien folle, en effet, d’aimer le duc Arthur, bien folle de ne point étouffer son amour, bien folle