Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/196

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l’amour, Arthur, tiens, vous blanchit les cheveux, les miens.

Elle le contempla, elle se traîna sur sa poitrine, elle l’accabla de ses baisers et de ses caresses ; et lui, il restait toujours calme sous les embrassements, froid sous les baisers.

Il fallait voir cette femme, s’épuisant d’ardeur, prodiguant tout ce qu’elle avait de passion, d’amour, de poésie, de feu dévorant et intime, pour vivifier le corps léthargique d’Arthur, qui restait insensible à ces lèvres brûlantes, à ces bras convulsifs, comme l’attouchement du lézard au contact de la brute. Julietta était bondissante d’amour, comme Satan l’était de rage et de colère.

Elle passa bien des heures sur les joues d’Arthur, qui regardait le ciel azuré, qui pensait sans doute aussi à des rêves sublimes, à des amours, sans penser qu’il avait là, devant lui, dans ses bras, une réalité céleste, un amour d’exception, tout brûlant et tout exalté.

Julietta ! il la laissa tomber épuisée ; puis elle tenta un dernier effort… et courut vers les rochers les plus élevés et s’élança d’un seul bond ; il se fit un silence de quelques secondes, et Arthur entendit le bruit d’un corps lourd qui tombe dans l’eau. Et la nuit était belle, toute calme, toute azurée comme la mer, elle était douce, tranquille, et ses vagues venaient mourir mollement sur la plage, et puis les vagues roulaient, tombaient et apportaient sur le rivage des coquilles, de la mousse et des débris de navires.

Une vint rouler longtemps, elle s’étendit au loin, puis se recula, puis revint ; elle déposa quelque chose de lourd et de grand.

C’était un cadavre de Femme.

— Eh bien ? dit Arthur, en regardant Satan.

Et quand celui-ci eut vu que son front était toujours pâle et uni, que son œil était sec et sans larmes :

— Non ! non ! tu n’as pas d’âme, je me suis trompé,