Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/243

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il y a soixante ans, mais bien un Don Juan, ce qui est plus beau.

L’homme qui possède à fond cette science, qui en connaît les détours et les replis cachés, n’est pas rare maintenant, cela est si facile, en effet, de séduire une femme qui vous aime et puis de la laisser là avec toutes les autres, quand on n’a pas d’âme ni de pitié dans le cœur ! Il y a tant de moyens de s’en faire aimer, soit par la jalousie, la vanité, le mérite, les talents, l’orgueil, l’horreur, la crainte même, ou bien encore par la fatuité de vos manières, le négligé d’une cravate, la prétention à être désespéré, quelquefois par la coupe de votre habit, ou la finesse de vos bottes ! Car combien de gens n’ont dû leurs conquêtes qu’à l’habileté de leur tailleur ou de leur cordonnier ?

Ernest s’était aperçu que Mazza souriait à ses regards. Partout il la poursuivait. Au bal, par exemple, elle s’ennuyait s’il n’était pas là. Et n’allez pas croire qu’il fût assez novice pour louer la blancheur de sa main ni la beauté de ses bagues, comme l’aurait pu faire un écolier de rhétorique, mais, devant elle, il déchirait toutes les autres femmes qui dansaient, il avait sur chacune les aventures les plus inconnues et les plus étranges, et tout cela la faisait rire et la flattait secrètement, quand elle pensait que sur elle on n’avait rien à dire. Sur le penchant du gouffre, elle prenait de belles résolutions de l’abandonner, de ne plus jamais le revoir, mais la vertu s’évapore bien vite au sourire d’une bouche qu’on aime.

Il avait vu aussi qu’elle aimait la poésie, la mer, le théâtre, Byron, et puis, résumant toutes ces observations en une seule, il avait dit : « C’est une sotte, je l’aurai », et elle, souvent aussi, avait dit en le voyant partir et quand la porte du salon tournait rapidement sur ses pas : « Oh ! je t’aime ! ».

Ajoutez à cela qu’Ernest lui fit croire à la phréno-