Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/256

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Adieu ! je m’embarque au Havre. Si vous voulez être heureuse, ne m’aimez plus, aimez au contraire la vertu et vos devoirs ; c’est un dernier conseil. Encore une fois adieu ! je vous embrasse.

« Ernest. »

Elle la relut plusieurs fois, accablée par ce mot adieu ; elle restait les yeux fixes et immobiles sur cette lettre qui contenait tout son malheur et son désespoir, où elle voyait s’enfuir et couler tout son bonheur et sa vie ; elle ne versa pas une larme, ne poussa pas un cri, mais elle sonna un domestique, lui ordonna d’aller chercher des chevaux de poste et de préparer sa chaise. Son mari voyageait en Allemagne, personne ne pouvait donc l’arrêter dans sa volonté.

À minuit elle partit, elle allait rapidement en courant de toute la vitesse des chevaux. Dans un village, elle s’arrêta pour demander un verre d’eau et repartit, croyant après chaque côte, chaque colline, chaque détour de la route, voir apparaître la mer, but de ses désirs et de sa jalousie, puisqu’elle allait lui enlever quelqu’un de cher à son cœur. Enfin, vers trois heures d’après-midi, elle arriva au Havre.

À peine descendue, elle courut au bout de la jetée et regarda sur la mer… une voile blanche s’enfonçait sous l’horizon.

IV

Il était parti ! parti pour toujours, et quand elle releva sa figure toute couverte de larmes, elle ne vit plus rien… que l’immensité de l’océan.

C’était une de ces brûlantes journées d’été, où la terre exhale de chaudes vapeurs comme l’air embrasé d’une fournaise. Quand Mazza fut arrivée sur la jetée, la fraîcheur salée de l’eau la ranima quelque peu, car une brise du sud enflait les vagues, qui venaient mol-