Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/257

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lement mourir sur la grève et râlaient sur le galet. Les nuages noirs et épais s’amoncelaient à sa gauche, vers le soleil couchant, qui était rouge et lumineux sur la mer ; on eût dit qu’ils allaient éclater en sanglots. La mer, sans être furieuse, roulait sur elle-même en chantant lugubrement, et quand elle venait à se briser sur les pierres de la jetée, les vagues sautaient en l’air et retombaient en poudre d’argent.

Il y avait dans cela une sauvage harmonie, Mazza l’écouta longtemps, fascinée par sa puissance ; le bruit de ces flots avait pour elle un langage, une voix ; comme elle, la mer était triste et pleine d’angoisses ; comme elle, ses vagues venaient mourir en se brisant sur les pierres et ne laisser sur le sable mouillé que la trace de leur passage. Une herbe, qui avait pris naissance entre deux fentes de la pierre, penchait sa tête toute pleine de la rosée, chaque coup de vague venait la tirer de sa racine, et chaque fois elle se détachait de plus en plus ; enfin elle disparut sous la lame, on ne la revit plus ; et pourtant elle était jeune et portait des fleurs ? Mazza sourit amèrement, la fleur était, comme elle, enlevée par la vague dans la fraîcheur du printemps.

Il y avait des marins qui rentraient, couchés dans leur barque ; en tirant derrière eux la corde de leurs filets, leur voix vibrait au loin, avec le cri des oiseaux de nuit, qui planaient en volant de leurs ailes noires sur la tête de Mazza et qui allaient tous s’abattre vers la grève, sur les débris qu’apportait la marée. Elle entendait alors une voix qui l’appelait au fond du gouffre, et, la tête penchée vers l’abîme, elle calculait combien il lui faudrait de minutes et de secondes pour râler et mourir. Tout était triste comme elle dans la nature, et il lui sembla que les vagues avaient des soupirs et que la mer pleurait.

Je ne sais cependant quel misérable sentiment de l’existence lui dit de vivre, et qu’il y avait encore sur