Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/260

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la tête sur ses coussins de drap blanc et s’endormit. Elle se réveilla aux portes de Paris.

Quand on a quitté la campagne et les champs et qu’on se retrouve dans les rues, le jour semble sombre et baissé, comme dans ces théâtres de foire qui sont lugubres et mal éclairés. Mazza se plongea avec délices dans les rues les plus tortueuses ; elle s’enivra du bruit et de la rumeur qui venait la tirer d’elle-même et la reporter dans le monde, elle voyait rapidement, et comme des ombres chinoises, toutes les têtes qui passaient devant sa portière, toutes lui semblaient froides, impassibles et pâles ; elle regarda avec étonnement, pour la première fois, la misère qui va pieds nus sur les quais, la haine dans le cœur et un sourire sur la bouche, comme pour cacher les trous de ses haillons ; elle regarda la foule qui s’engouffrait dans les spectacles et les cafés, et tout ce monde de laquais et de grands seigneurs qui s’étale comme un manteau de couleur au jour de parade.

Tout cela lui parut un immense spectacle, un vaste théâtre, avec ses palais de pierre, ses magasins allumés, ses habits de parade, ses ridicules, ses sceptres de carton et ses royautés d’un jour. Là, le carrosse de la danseuse éclabousse le peuple, et là l’homme se meurt de faim, en voyant des tas d’or derrière les vitres ; partout le rire et les larmes, partout la richesse et la misère, partout le vice qui insulte la vertu et lui crache à la face, comme le châle usé de la fille de joie qui effleure en passant la robe noire du prêtre. Oh ! il y a dans les grandes cités une atmosphère corrompue et empoisonnée, qui vous étourdit et vous enivre, quelque chose de lourd et de malsain, comme ces sombres brouillards du soir qui planent sur les toits.

Mazza aspira cet air de corruption à pleine poitrine, elle le sentit comme un parfum, et la première fois, alors, elle comprit tout ce qu’il y avait de large et