Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/263

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sa santé était bonne, que ses joues étaient fraîches et qu’on voyait qu’elle était heureuse, que rien ne lui manquait, elle souriait cependant, la rage dans l’âme : « Ah ! les imbéciles, disait-elle, qui ne voient que le bonheur sur un front calme et qui ne savent pas que la torture arrache des rires. »

Elle prit la vie, dès lors, comme un long cri de douleur. Si elle voyait des femmes qui se paraient de leur vertu, d’autres de leur amour, elle raillait leur vertu et leurs amours ; quand elle trouvait des gens heureux et confiants en Dieu, elle les tourmentait par un rire ou par un sarcasme ; les prêtres ? elle les faisait rougir, en passant devant eux, par un regard lascif, et riait à leurs oreilles ; les jeunes filles et les vierges ? elle les faisait pâlir par ses contes d’amour et ses histoires passionnées. Et puis l’on se demandait quelle était cette femme pâle et amaigrie, ce fantôme errant, avec ses yeux de feu et sa tête de damnée ; et si on venait à vouloir la connaître, on ne trouvait au fond de son existence qu’une douleur et dans sa conduite que des larmes.

Oh ! les femmes ! les femmes ! elle les haïssait dans l’âme, les jeunes et les belles surtout, et quand elle les voyait dans un spectacle ou dans un bal, à la lueur des lustres et des bougies, étalant leur gorge ondulante, ornées de dentelles et de diamants, et que les hommes empressés souriaient à leurs sourires, qu’on les flattait et les vantait, elle eût voulu froisser ces vêtements et ces gazes brodées, cracher sur ces figures chéries, et traîner dans la boue ces fronts si calmes et si fiers de leur froideur. Elle ne croyait plus à rien, qu’au malheur et à la mort.

La vertu pour elle était un mot, la religion un fantôme, la réputation un masque imposteur comme un voile qui cache les rides. Elle trouvait alors des joies dans l’orgueil, des délices dans le dédain, et elle crachait en passant sur le seuil des églises.