Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/266

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espèce d’ogive brisée, qui laissait voir une tombe et deux flambeaux, dont les lumières tremblaient, comme la voix d’un mourant, au souffle froid de l’hiver qui passait sur ces draps noirs tout étoilés de larmes d’argent. De temps en temps, les deux fossoyeurs qui avaient soin de la fête se rangeaient de côté pour faire place aux conviés arrivant l’un après l’autre, tous vêtus de noir avec des cravates blanches, un jabot plissé et des cheveux frisés ; ils se découvraient en passant près du mort, et trempaient dans l’eau bénite le bout de leur gant noir.

C’était dans l’hiver, la neige tombait ; après que le cortège fut parti, une jeune femme, entourée d’une mante noire, descendit dans la cour, marcha sur la pointe des pieds à travers la couche de neige qui couvrait les pavés, et elle avança sa tête pâle entre ses voiles noirs pour voir le char funèbre qui s’éloignait ; puis elle éteignit les deux bougies qui brûlaient encore, elle remonta, défit son manteau, réchauffa ses sandales blanches au feu de sa cheminée, détourna la tête encore une fois, mais elle ne vit plus que le dos noir du dernier des assistants qui tournait à l’angle de la rue.

Quand elle n’entendit plus le ferraillement monotone des roues du char sur le pavé, et que tout fut passé et parti, les chants des prêtres, le convoi du mort, elle se jeta sur le lit mortuaire, s’y roula à plaisir, en criant dans les accès de sa joie convulsive : « Arrive maintenant ! à toi, à toi tout cela ! Je t’attends ! viens donc ! À toi, mon bien-aimé, la couche nuptiale et ses délices ! à toi, à toi seul, à nous deux un monde d’amour et de voluptés ! Viens ici, je m’y étendrai sous tes caresses, je m’y roulerai sous tes baisers ». Elle vit sur sa commode une petite boîte en palissandre que lui avait donnée Ernest. C’était comme ce jour-là, un jour d’hiver, il arriva, entouré de son manteau, son chapeau avait de la neige, et quand il l’embrassa,