Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/271

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Elle l’aimait tant, cette pauvre femme ! elle lui avait donné sa vertu, elle lui avait prodigué son amour, elle avait renié Dieu, et puis encore — oh ! bien pis encore — son mari, ses enfants qu’elle avait vus râler, mourir, en souriant, car elle pensait à lui. Que faire ? que devenir ? Une autre, une autre femme à qui il va dire : je t’aime ! à qui il va baiser les yeux, les seins, en l’appelant sa vie et sa passion ; une autre ! et elle ? en avait-elle eu d’autre que lui ? pour lui n’avait elle pas repoussé son mari dans la couche nuptiale ? ne l’avait-elle pas trompé de ses lèvres adultères ? ne l’avait-elle pas empoisonné en versant des larmes de joie ?

C’était son Dieu et sa vie, il l’abandonne après s’être servi d’elle, après en avoir assez joui, assez usé ; voilà qu’il la repousse au loin, et la jette à l’abîme sans fond, celui du crime et du désespoir !

D’autres fois, elle ne pouvait en croire ses yeux, elle relisait cette lettre fatale et la couvrait de ses pleurs.

Oh ! comment ! disait-elle après que l’abattement eut fait place à la rage, à la fureur, oh ! comment, tu me quittes ? mais je suis au monde, seule, sans famille, sans parents, car je t’ai donné et famille et parents ; seule, sans honneur, car je l’ai immolé pour toi ; seule, sans réputation, car je l’ai sacrifiée sous tes baisers, à la vue du monde entier qui m’appelait ta maîtresse. Ta maîtresse ! dont tu rougis maintenant, lâche !

Et les morts, où sont-ils ?

Que faire ? que devenir ? J’avais une seule idée, une seule chose au cœur, elle me manque ; irai-je te trouver ? mais tu me chasseras comme une esclave ; si je me jette au milieu des autres femmes, elles m’abandonneront en riant, me montreront du doigt avec fierté, car elles n’ont aimé personne, elles, elles ne connaissent pas les larmes. Oh ! tiens ! puisque je veux encore de l’amour, de la passion et de la vie, ils me