Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/272

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diront sans doute d’aller quelque part où l’on vend à prix fixe de la volupté et des étreintes, et le soir, avec mes compagnes de luxure, j’appellerai les passants à travers les vitres, et il faudra, quand ils seront venus, que je les fasse jouir bien fort, que je leur en donne pour leur argent, qu’ils s’en aillent contents, et que je ne me plaigne pas encore, que je me trouve heureuse, que je rie à tout venant, car j’aurai mérité mon sort !

Et qu’ai-je fait ? je t’ai aimé plus qu’un autre. Oh ! grâce ! Ernest ; si tu entendais mes cris, tu aurais peut-être pitié de moi, moi qui n’ai pas eu de pitié pour eux, car je me maudis maintenant, je me roule ici dans l’angoisse et mes vêtements sont mouillés de mes larmes.

Et elle courait éperdue, puis elle tombait, se roulant par terre en maudissant Dieu, les hommes, la vie elle-même, tout ce qui vivait, tout ce qui pensait au monde ; elle arrachait de sa tête des poignées de cheveux noirs, et ses ongles étaient rouges de sang.

Oh ! ne pouvoir supporter la vie ! en être venue à se jeter dans les bras de la mort comme dans ceux d’une mère ! mais douter encore, au dernier moment, si la tombe n’a pas des supplices et le néant des douleurs ! être dégoutée de tout ! n’avoir plus de foi à rien, pas même à l’amour, la première religion du cœur, et ne pouvoir quitter ce malaise continuel, comme un homme qui serait ivre et qu’on forcerait à boire encore !

Pourquoi donc es-tu venu dans ma solitude m’arracher à mon bonheur ? J’étais si confiante et si pure, et tu es venu pour m’aimer, et je t’ai aimé !

Les hommes, cela est si beau quand ils vous regardent ! Tu m’as donné de l’amour, tu m’en refuses maintenant, et moi je l’ai nourri par des crimes, voilà qu’il me tue aussi ! J’étais bonne alors, quand tu me vis, et maintenant je suis féroce et cruelle, je voudrais avoir quelque chose à broyer, à déchirer, à flétrir, et