Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/28

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esprit, et ses lèvres balbutiaient convulsivement quelques mots qui mouraient en naissant : « Oh, l’avoir ! le tenir ! le posséder ! rêver un monde dans une prison, penser à la vie dans un sépulcre ! Oui, j’irai, je le prendrai, cet anneau ! »

En effet, n’était-il pas naturel que ce pauvre homme, qui n’avait pas la réalité pour jouir, souhaitât des illusions pour rêver ? Et on savait dans le couvent que cet anneau de prieur se rattachait à des souvenirs de jeunesse et d’amour, dont sa piété n’avait pu se défaire, car après la passion abattue il reste dans le cœur de l’homme des racines inviolables qui se rattachent à d’anciens souvenirs comme le lierre qui, pourtant mort, embrasse le chêne sur lequel il a grandi !

« Oh ! continuait Bernardo en regardant la forêt, là dedans peut-être se promène un jeune homme qui aspire à longs traits sa vie de bonheur, contemplant avec amour et extase un ciel pur et azuré, couvert de sa robe dorée ; il peut porter au loin ses yeux où respirent la vigueur et l’avenir, sans qu’ils retombent avec dédain sur les barreaux de la cage d’un homme ! »

Puis regardant le châteaux « Oh ! là dedans il y a des hommes qui vivent, la valse peut-être bondit sur le parquet, saccadée et délirante. Il y a des femmes qui tourbillonnent entraînées dans les bras de leurs danseurs ; il y a des laquais aux livrées d’or, des chevaux dont la parure a peut-être coûté plus d’heures de travail que mes heures d’ennui ; il y a des lustres aux mille reflets, des diamants qui brillent dans les glaces ; il y a des roses de la vie ! »

Puis il se remit sur son lit en cherchant le sommeil ; et il voyait dans un coin l’anneau qui brillait, comme si Satan le lui eût présenté sans cesse. Il se retourna, et il vit encore l’anneau dans tout son éclat.

Respirant à peine, il s’assit. « Maintenant, pensait-il en regardant la lune qui se reflétait sur les barreaux de sa cellule et sur le christ d’étain suspendu à son