Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/34

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— Sur le roi, n’est-ce pas ?

— Oui, et sur l’entretien qu’il a eu ce matin avec sa mère.

— Eh, savez-vous, dit le cardinal son frère, qui n’avait jusqu’alors desserré les dents que pour laisser sortir quelques bouffées de son tabac d’Égypte, savez-vous que la reine Catherine est roi, et qu’elle vous hait, cher ami ?

— Oui, je le sais, hélas, répondit le duc, dont la physionomie se rembrunissait de plus en plus ; je sais que le roi a de sombres projets et que mon nom l’oppresse et le gêne ; que ma réputation de vaillance et de gloire l’humilie ; je sais que mon regard le fait trembler, lui, Henri de Valois, assis sur son trône ; je sais que s’il n’emploie le bourreau, il se servira de l’assassin… Mandreville, passe-moi la bière !

Et il se versa avec vivacité, puis continua :

— C’est pourquoi, mes bons amis, je voudrais avoir un conseil de vous.

— Nous sommes tous prêts.

Et déposant leurs verres, ils se mirent à écouter en silence.

— Je suis d’avis, dit le Balafré, d’aller passer quelques jours à Orléans.

— Quitter ! partir d’ici ! dit l’archevêque de Lyon en prenant son verre et en le brisant avec violence sur la table, je ne vous reconnais pas là, duc ; comment ? fuir Blois au moment où les États semblent se prêter à vos vues, abandonner une conquête presque déjà finie ? Non ! Non ! Quitter Henri au moment où sa couronne plie sous vos mains fortes et puissantes, au moment où son sceptre va se briser en éclats, où son trône va vous servir de marchepied à un trône, mais à un trône qui remplacera le sien avec plus de grandeur et de gloire ! au moment où vous avez pu convoquer tant de membres de la Sainte-Union, vous, maintenant maître du clergé, du tiers état et de la