Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/490

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Et vous me direz ensuite si tout n’est pas une dérision et une moquerie, si tout ce qu’on chante dans les écoles, tout ce qu’on délaye dans les livres, tout ce qui se voit, se sent, se parle, si tout ce qui existe…

Je n’achève pas tant j’ai d’amertume à le dire. Eh bien ! si tout cela enfin n’est pas de la pitié, de la fumée, du néant !

III

Je fus au collège dès l’âge de dix ans et j’y contractai de bonne heure une profonde aversion pour les hommes. Cette société d’enfants est aussi cruelle pour ses victimes que l’autre petite société, celle des hommes.

Même injustice de la foule, même tyrannie des préjugés et de la force, même égoïsme, quoi qu’on ait dit sur le désintéressement et la fidélité de la jeunesse. Jeunesse ! âge de folie et de rêves, de poésie et de bêtise, synonymes dans la bouche des gens qui jugent le monde sainement. J’y fus froissé dans tous mes goûts : dans la classe, pour mes idées ; aux récréations, pour mes penchants de sauvagerie solitaire. Dès lors, j’étais un fou.

J’y vécus donc seul et ennuyé, tracassé par mes maîtres et raillé par mes camarades. J’avais l’humeur railleuse et indépendante, et ma mordante et cynique ironie n’épargnait pas plus le caprice d’un seul que le despotisme de tous.

Je me vois encore, assis sur les bancs de la classe, absorbé dans mes rêves d’avenir, pensant à ce que l’imagination d’un enfant peut rêver de plus sublime, tandis que le pédagogue se moquait de mes vers latins, que mes camarades me regardaient en ricanant. Les imbéciles ! eux, rire de moi ! eux, si faibles, si communs, au cerveau si étroit ; moi, dont l’esprit se noyait sur les limites de la création, qui étais perdu