Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/492

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Enfant, j’ai rêvé l’amour ; jeune homme, la gloire ; homme, la tombe, ce dernier amour de ceux qui n’en ont plus.

Je percevais aussi l’antique époque des siècles qui ne sont plus et des races couchées sous l’herbe ; je voyais la bande de pèlerins et de guerriers marcher vers le Calvaire, s’arrêter dans le désert, mourant de faim, implorant ce Dieu qu’ils allaient chercher, et, lassée de ses blasphèmes, marcher toujours vers cet horizon sans bornes ; puis, lasse, haletante, arrivée enfin au but de son voyage, désespérée et vieille, pour embrasser quelques pierres arides, hommage du monde entier.

Je voyais les chevaliers courir sur les chevaux.

La nuit encore, dans la sombre cathédrale, toute la nef ornée d’une guirlande de peuples qui montent vers la voûte, dans les galeries, avec des chants ; des lumières qui resplendissent sur les vitraux, et, dans la nuit de Noël, toute la vieille ville, avec ses toits aigus couverts de neige, s’illuminer et chanter.

Mais c’était Rome que j’aimais, la Rome impériale, cette belle reine se roulant dans l’orgie, salissant ses nobles vêtements du vin de la débauche, plus fière de ses vices qu’elle ne l’était de ses vertus. Néron ! Néron, avec ses chars de diamant volant dans l’arène, ses mille voitures, ses amours de tigre et ses festins de géant.

Loin des classiques leçons, je me reportais vers tes immenses voluptés, tes illuminations sanglantes, tes divertissements qui brûlent Rome.

Et, bercé dans ces vagues rêveries, les songes vers l’avenir, emporté par cette pensée aventureuse échappée comme une cavale sans frein, qui franchit les torrents, escalade les monts et vole dans l’espace, je restais des heures entières, la tête dans mes mains, à regarder le plancher de mon étude, ou une araignée jeter sa toile sur la chaire de notre maître ; et quand je me réveil-