Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/505

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sa plage d’une demi-lieue de grandeur et sa charmante position ; mais, depuis peu, la vogue s’y est tournée. La dernière fois que j’y fus, je vis quantité de gants jaunes et de livrées ; on proposait même d’y construire une salle de spectacle.

Alors, tout était simple et sauvage, il n’y avait guère que des artistes et des gens du pays. Le rivage était désert et, à marée basse, on voyait une plage immense avec un sable gris et argenté qui scintillait au soleil, tout humide encore de la vague. À gauche, des rochers où la mer battait paresseusement dans ses jours de sommeil les parois noircies de varechs ; puis, au loin, l’océan bleu sous un soleil ardent, et mugissant sourdement comme un géant qui pleure.

Et quand on rentrait dans le village, c’était le plus pittoresque et le plus chaud spectacle. Des filets noirs et rongés par l’eau étendus aux portes, partout les enfants à moitié nus marchant sur un galet gris, seul pavage du lieu, des marins avec leurs vêtements rouges et bleus ; et tout cela simple dans sa grâce, naïf et robuste, tout cela empreint d’un caractère de vigueur et d’énergie.

J’allais souvent seul me promener sur la grève. Un jour le hasard me fit aller vers l’endroit où l’on baignait. C’était une place, non loin des dernières maisons du village, fréquentée plus spécialement pour cet usage ; hommes et femmes nageaient ensemble, on se déshabillait sur le rivage ou dans sa maison et on laissait son manteau sur le sable.

Ce jour-là, une charmante pelisse rousse avec des raies noires était restée sur le rivage. La marée montait, le rivage était festonné d’écume ; déjà un flot plus fort avait mouillé les franges de soie de ce manteau. Je l’ôtai pour le placer au loin ; l’étoffe en était moelleuse et légère, c’était un manteau de femme.

Apparemment on m’avait vu, car le jour même, au repas de midi et comme tout le monde mangeait