Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/506

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dans une salle commune à l’auberge où nous étions logés, j’entendis quelqu’un qui me disait :

— Monsieur, je vous remercie bien de votre galanterie.

Je me retournai ; c’était une jeune femme assise avec son mari à la table voisine.

— Quoi donc ? lui demandai-je préoccupé.

— D’avoir ramassé mon manteau, n’est-ce pas vous ?

— Oui, Madame, repris-je embarrassé.

Elle me regarda.

Je baissai les yeux et rougis. Quel regard, en effet ! comme elle était belle, cette femme ! je vois encore cette prunelle ardente sous un sourcil noir se fixer sur moi comme un soleil. Elle était grande, brune, avec de magnifiques cheveux noirs qui lui tombaient en tresses sur les épaules ; son nez était grec, ses yeux brûlants, ses sourcils hauts et admirablement arqués, sa peau était ardente et comme veloutée avec de l’or ; elle était mince et fine, on voyait des veines d’azur serpenter sur cette gorge brune et pourprée. Joignez à cela un duvet fin qui brunissait sa lèvre supérieure et donnait à sa figure une expression mâle et énergique à faire pâlir les beautés blondes. On aurait pu lui reprocher trop d’embonpoint ou plutôt un négligé artistique. Aussi les femmes en général la trouvaient-elles de mauvais ton. Elle parlait lentement ; c’était une voix modulée, musicale et douce…

Elle avait une robe fine, de mousseline blanche, qui laissait voir les contours moelleux de son bras.

Quand elle se leva pour partir, elle mit une capote blanche avec un seul nœud rose ; elle le noua d’une main fine et potelée, une de ces mains dont on rêve longtemps et qu’on brûlerait de baisers.

Chaque matin j’allais la voir baigner ; je la contemplais de loin sous l’eau, j’enviais la vague molle et paisible qui battait sur ses flancs et couvrait d’écume cette poitrine haletante, je voyais le contour de ses membres sous les vêtements mouillés qui la couvraient,