Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/514

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à pleurer comme un enfant, car près de moi, à quelques pas, elle était là, derrière ces murs que je dévorais du regard ; elle était là, belle et nue, avec toutes les voluptés de la nuit, toutes les grâces de l’amour, toutes les chastetés de l’hymen ; cet homme n’avait qu’à ouvrir les bras et elle venait sans efforts, sans attendre, elle venait à lui, et ils s’aimaient, ils s’embrassaient. À lui toutes les joies, toutes ces délices ; à lui mon amour sous ses pieds ; à lui cette femme tout entière, sa tête, sa gorge, ses seins, son corps, son âme, ses sourires, ses deux bras qui l’entourent, ses paroles d’amour ; à lui tout, à moi rien.

Je me mis à rire, car la jalousie m’inspira des pensées obscènes et grotesques ; alors je les souillai tous les deux, j’amassai sur eux les ridicules les plus amers, et ces images qui m’avaient fait pleurer d’envie, je m’efforçai d’en rire de pitié. La marée commençait à redescendre, et de place en place on voyait de grands trous pleins d’eau argentée par la lune, des places de sable encore mouillé couvertes de varech, ça et là quelques rochers à fleur d’eau ou, se dressant plus haut, noirs ou blancs, des filets dressés et déchirés par la mer, qui se retirait en grondant.

Il faisait chaud, j’étouffais. Je rentrai dans la chambre de mon auberge, je voulus dormir. J’entendais toujours les flots aux côtés du canot, j’entendais la rame tomber, j’entendais la voix de Maria qui parlait ; j’avais du feu dans les veines, tout cela repassait devant moi, et la promenade du soir, et celle de la nuit sur le rivage ; je voyais Maria couchée, et je m’arrêtais là, car le reste me faisait frémir. J’avais de la lave dans l’âme ; j’étais harassé de tout cela et, couché sur le dos, je regardais ma chandelle brûler et son disque trembler au plafond ; c’était avec un hébétement stupide que je voyais le suif couler autour du flambeau de cuivre et la flammèche noire s’allonger dans la flamme.

Enfin le jour vint à paraître, je m’endormis.