Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/518

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et mince, ses yeux étaient plus vifs, plus grands et plus beaux que ceux de sa sœur aînée, mais celle-ci avait une tête si ronde et si gracieuse, sa peau était si fraîche, si rosée, ses dents courtes si blanches sous ses lèvres rosées, et tout cela était si bien encadré par des bandeaux de jolis cheveux châtains, qu’on ne pouvait s’empêcher de lui donner la préférence. Elle était petite et peut-être un peu grosse, c’était son défaut le plus visible, mais ce qui me charmait le plus en elle, c’était une grâce enfantine sans prétention, un parfum de jeunesse qui embaumait autour d’elle.

Il y avait tant de naïveté et de candeur que les plus impies même ne pouvaient s’empêcher d’admirer. Il me semble la voir encore à travers les vitres de ma chambre, qui courait dans le jardin avec d’autres camarades ; je vois encore leur robe de soie onduler brusquement sur leurs talons en bruissant, et leurs pieds se relever pour courir sur les allées sablées du jardin, puis s’arrêter haletantes, se prendre réciproquement par la taille, et se promener gravement en causant, sans doute, de fêtes, de danses, de plaisirs et d’amours ; les pauvres filles !

L’intimité exista bientôt entre nous tous ; au bout de quatre mois je l’embrassais comme ma sœur, nous nous tutoyions tous. J’aimais tant à causer avec elle ! son accent étranger avait quelque chose de fin et de délicat qui rendait sa voix fraîche comme ses joues.

D’ailleurs, il y a dans les mœurs anglaises un négligé naturel et un abandon de toutes nos convenances qu’on pourrait prendre pour une coquetterie raffinée, mais qui n’est qu’un charme qui attire, comme ces feux follets qui fuient sans cesse. Souvent nous faisions des promenades en famille, et je me souviens qu’un jour, dans l’hiver, nous allâmes voir une vieille dame qui demeurait sur une côte qui domine la ville.

Pour arriver chez elle, il fallait traverser des ma-