Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/535

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un fou qui laisse tomber un verre de cristal et qui rit de tous les morceaux qu’il a faits.

Mais l’homme a une âme immortelle et faite à l’image de Dieu, deux idées pour lesquelles il a versé son sang, deux idées qu’il ne comprend pas : une âme, un Dieu, mais dont il est convaincu.

Cette âme est une essence autour de laquelle notre être physique tourne comme la terre autour du soleil ; cette âme est noble, car étant un principe spirituel, n’étant point terrestre, elle ne saurait rien avoir de bas, de vil. Cependant n’est-ce pas la pensée qui dirige notre corps ? N’est-ce pas elle qui fait lever notre bras quand nous voulons tuer ? n’est-ce pas elle qui anime notre chair ? L’esprit serait-il le principe du mal et le corps l’agent ?

Voyons comme cette âme, comme cette conscience est élastique, flexible, comme elle est molle et maniable, comme elle se ploie facilement sous le corps qui pèse sur elle ou qui appuie sur le corps qui s’incline, comme cette âme est vénale et basse, comme elle rampe, comme elle flatte, comme elle ment, comme elle trompe ! C’est elle qui vend le corps, la main, la tête et la langue ; c’est elle qui veut du sang et qui demande de l’or, toujours insatiable et cupide de tout dans son infini ; elle est au milieu de nous comme une soif, une ardeur quelconque, un feu qui nous dévore, un pivot qui nous fait tourner sur lui.

Tu es grand, homme, non par le corps sans doute, mais par cet esprit qui t’a fait, dis-tu, le roi de la nature ; tu es grand, maître et fort.

Chaque jour, en effet, tu bouleverses la terre, tu creuses des canaux, tu bâtis des palais, tu enfermes les fleuves entre des pierres, tu cueilles l’herbe, tu la pétris et tu la manges ; tu remues l’océan avec la quille de tes vaisseaux et tu crois tout cela beau ; tu te crois meilleur que la bête fauve que tu manges, plus libre que la feuille emportée par les vents, plus grand que