Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/70

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que je leur ai montrés. Rien, n’est-ce pas ? Et s’ils trouvaient le mot, ils diraient αναγκη. La faute, c’est à cette divinité sombre et mystérieuse qui, née avec l’homme, subsiste encore après son néant, qui s’aposta à la face de tous les siècles et de tous les empires, et qui rit dans sa férocité en voyant la philosophie et les hommes se tordre dans leurs sophismes pour nier son existence, tandis qu’elle les presse tous dans sa main de fer, comme un géant qui jongle avec des crânes desséchés !

Février 1836.

I

La parade allait commencer, quelques musiciens accordaient leur hautbois et leurs déchirants violons, des groupes se formaient autour de la tente, et des yeux de paysans se fixaient avec étonnement et volupté sur la grande enseigne ou étaient écrits en lettres rouges et noires ces mots gigantesques : Troupe acrobatique du sieur Pedrillo.

Plus loin, sur un carré de toile peinte, l’on distinguait facilement un homme aux formes athlétiques, nu comme un sauvage, et levant sur son dos une quantité énorme de poids ; une banderole tricolore lui sortait de la bouche et sur laquelle était écrit : Je suis l’Hercule du Nord.

Vous dire ce que le Pierrot hurla sur son estrade, vous le savez aussi bien que moi. Certes, dans votre enfance, vous vous êtes plus d’une fois arrêté devant cette scène grotesque, et vous avez ri comme les autres des coups de poing et des coups de pied qui viennent à chaque instant interrompre l’orateur au milieu de son discours ou de sa narration.

Dans la tente, c’était un spectacle différent : trois enfants, dont le plus jeune avait à peine sept ans, sautaient sur la balustrade intérieure de l’escalier ou bien s’exerçaient sur la corde à la « représentation ».