Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/75

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La nuit était venue, elle était froide et humide, un vent de novembre soufflait avec violence et faisait trembler les arbres du boulevard ; de temps en temps même il pénétrait dans la tente et venait faire vaciller la chandelle autour de laquelle étaient groupés les danseurs de corde. Rangés en rond autour d’une énorme grosse caisse, chacun tenait devant lui son écuelle, dont la vapeur réchauffait ses doigts tremblotants.

Le mince flambeau qui les éclairait, tranchant sur l’obscurité de la nuit, se reflétait sur leurs visages ainsi groupés et leur donnait un air étrange et singulier.

Tous étaient silencieux et attendaient que quelqu’un interrompît le silence ; ce fut Pedrillo.

— Eh bien, dit-il en regardant Marguerite et en reprenant sa phrase qu’il avait commencée il y a une demi-heure, c’était donc là que tu étais partie ? Maintenant es-tu guérie ?

Marguerite leva la tête, regarda un moment ses enfants, puis la rabaissa et se prit à pleurer.

— Non, dit-elle tout doucement, non, je boite encore.

— Que ferai-je de toi, Marguerite ? voyons, à quoi seras-tu bonne ?

La pauvre femme se pencha vers son mari, lui dit quelques mots à l’oreille.

— Enfants, reprit celui-ci, allez dormir, entendez vous ? dépêchez-vous donc !

Cette phrase parut étrange à Garofa, qui dit d’un air attristé :

— Et du sucre ?

Pedrillo sourit amèrement :

— Tu seras bien heureux si tu as du pain demain, pauvre enfant !

Ce sourire était forcé ; ses lèvres bleuies par le froid laissèrent voir deux rangées de dents blanches, et ses