Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/76

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grands yeux noirs se fixaient sur l’enfant d’une manière qui lui fit peur.

En ce moment-là, le vent, redoublant de violence, faisait craquer la cabane.

— Du sucre, mais pourtant tu m’en avais promis ?

— Tais-toi ! te dis-je.

— Oh ! papa, je t’en prie !

Il le repoussa fortement, et le pauvre enfant s’en alla coucher en pleurant.

Pedrillo souffrait tout autant que lui, un mouvement convulsif lui faisait claquer les dents.

— Comme tu l’as rudoyé ! dit Marguerite.

— C’est vrai.

Il resta dans une rêverie profonde et comme endormi même, dans des pensées déchirantes.

Un second coup de vent vint éteindre la chandelle.

— J’ai froid, dit Marguerite en se rapprochant de lui, j’ai bien froid, prête-moi ton manteau.

— Mon manteau ?… mais je l’ai vendu, mon manteau.

— Pourquoi ?

— Pour du pain, Marguerite. Ne faudra-t-il pas que je t’en donne aussi ?

— Que voulais-tu donc me dire tout à l’heure, que tu as fait retirer les enfants ?

— Ce que je voulais te dire, je ne sais…

— Mais j’ai bien froid !

— Que faire, Marguerite, je n’ai plus rien, rien…

Il s’arrêta et reprit :

— Rien qu’une balle…

— Oh ! par grâce pour moi, Pedrillo !

Et elle l’entoura de ses deux bras rouges et amaigris.

À voir ainsi cette femme laide et couverte de haillons embrasser avec tant d’amour cet homme qui la repoussait, comme par un sentiment naturel, à voir cette misère et cette tendresse, c’était un spectacle hideux et sublime.