Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/80

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Une seule parole se fit entendre : « Qu’elle est laide ! » et l’on s’en alla en riant. Il faisait froid, bien froid même, Marguerite ne se sentait plus les doigts et n’avait pas la puissance de les remuer ; elle laissa tomber le violon, il se brisa, et les morceaux rebondirent sur le tapis en rendant un son criard et faussé.

Elle le regarda encore sautiller quelque temps, les bras croisés, la poitrine haletante. Qu’allait dire Pedrillo, lorsqu’il verrait revenir Marguerite sans argent ?

Oh ! cette pensée-là torturait Marguerite, elle lui serrait le cœur et le lui déchirait sans pitié, mille projets ridicules d’éviter la colère de son mari lui venaient à l’esprit comme un cauchemar, et puis s’évanouissaient poussés par d’autres plus bizarres encore.

Tantôt elle voulait fuir avec ses enfants ; où ? elle l’ignorait, mais fuir au moins, fuir le regard pénétrant et atroce de Pedrillo, fuir son rire lugubre, fuir ces mots : « Qu’allons-nous devenir, Marguerite ? »

Une autre fois elle pensait à Dieu, puis elle invoquait Satan, et souhaitait mourir… et elle tenait à la vie pour ses enfants. Que seraient-ils devenus sans elle ?

Enfin, roulant le vieux tapis et enveloppant les éclats du violon, elle partit de cette place où elle avait reçu tant d’affronts, versé tant de larmes.

Une idée riante lui vint à l’esprit, elle sourit légèrement ; c’est qu’elle pensait qu’en vendant son manteau ou le tapis, elle pourrait apporter de l’argent à Pedrillo, et faire raccommoder son violon. Mais Pedrillo à son tour lui demanderait qu’est-ce qu’elle avait fait de son manteau.

Cette triste objection, qu’elle se fit à elle-même, la rendit encore plus malheureuse et elle accusa le ciel de lui avoir donné une minute l’espérance qui, battue par la réalité, fouette l’âme et la martyrise.

Il était alors 2 ou 3 heures d’après-midi, le soleil était beau, et venait réchauffer, comme il arrive de