Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/88

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En passant à côté de celle de nos gens, le montreur reconnut à travers les vitres couvertes de vapeur la tête de Pedrillo. Or Pedrillo, c’était une vieille connaissance.

Il réveilla la troupe en faisant claquer son fouet, et le premier mot qu’il adressa à son compagnon fut un juron accompagné de quelques f… et d’autant de b…, puis, après cet exorde, il commença sa phrase en disant :

— Il fait joliment du bouillon aujourd’hui ! le Père Éternel se vide la vessie !

Pedrillo leva sa figure bleuie et regarda cet homme avec surprise.

— Tiens, c’est toi ? dit-il étonné, en ouvrant la lucarne.

— Parbleu ! est-ce que tu ne me reconnais pas ? tu es donc bien fier ! pourtant tu n’as pas l’air trop bien fortuné, et je crois que tu n’es pas foutu pour avoir une ménagerie comme la mienne.

Ce disant il montra du doigt une cage et une jeune fille, assise à ses côtés.

Au premier village qu’ils rencontrèrent, ils firent entrer leurs voitures sous le hangar d’une ferme, et là les baladins descendirent et s’embrassèrent.

Pedrillo n’eut point de mal à embrasser Isabella, mais, quant à Isambart, ce fut bien différent.

— Comment l’appelles-tu, demanda-t-il à son ami ?

— Marguerite.

— C’est une fraîche marguerite.

Et il toucha délicatement du bout de ses lèvres le front rougeâtre.

— Ah çà ! continua-t-il, nous voilà réunis ; veux-tu voyager ensemble, nous associer ?

— Mais… hum !… hum !… comme tu voudras.

Il ne fallait pas laisser échapper une aussi belle condition. Pedrillo le comprit bien, il lui frappa vigoureusement dans la main en disant :