Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/91

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Un jour, c’était dans l’été, toute la troupe, à l’exception des enfants, dansait dans le carrefour d’une rue assez déserte.

Marguerite et lsabellada dansaient. Pauvre Marguerite !

Pedrillo, un bonnet chinois sur la tête, des timbales aux genoux, une flûte de Pan à la bouche, frappant de la grosse caisse, composait tout l’orchestre. Isabella, en robe blanche, une écharpe rose autour du cou, sautait, dansait, tourbillonnait sur le vieux tapis de Perse.

Son regard était vif et lançait des éclairs, sa taille était fine, svelte, et se pliait, et s’abaissait, et se dressait comme le cou d’un cygne. Oh ! non, ce n’était point une robe, c’était un léger jupon blanc avec des fleurs brodées au bas, un léger jupon tombant au milieu des cuisses, sur des bas roses qui les serraient avec volupté ; c’était sa valse, sa danse tourbillonnante comme des pensées d’amour qui bondissent dans le cœur d’un poète. Et sa gorge si blanche, blanche comme du marbre le plus blanc, sa gorge si pure, si fraîche, si suave, et sa tête, et ses yeux, et son sourire ! Oh ! la gorge d’une femme, quand elle est jeune et jolie, quand on la sent comme une rose à travers la mousseline sautillante au mouvement de sa danse ; oh ! la gorge d’une femme ! n’est-ce pas que c’est là, dans vos rêves d’amour, dans vos nuits d’insomnie, dans ces nuits que l’on passe à pleurer et à maudire sa mère, n’est-ce pas que c’est sur sa gorge que vous avez posé votre tête toute chaude et toute bouillante ? c’est sur sa gorge que vous avez tressailli d’amour, que toutes les fibres de votre âme ont vibré, comme la lyre touchée par le doigt d’une jeune fille, et se sont raidies de volupté comme les muscles d’un athlète.

N’est-ce pas entre ses deux seins que vous avez dévoré de si ardents baisers ? n’est-ce pas dans son regard si doux que vous avez bu la vie ? n’est-ce pas