Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/92

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dans ses sourires que vous avez vécu ? n’est-ce pas que son pied mignon, sa jambe si bien faite, étaient là sur votre lit à s’entrelacer dans les vôtres ?

Et puis, sa figure, sur cette gorge, sur cette taille de femme, sur tout cet ensemble de gracieux, de céleste, de divin ! Il y avait dans son regard, dans le mouvement de sa prunelle, dans le bruit que sa robe faisait en tournant dans l’air, dans la manière dont son pied pivotait sur le tapis troué, quelque chose d’inexprimable et d’inouï, de rêveur et de pur. Elle n’avait pas l’air d’une femme, ainsi sautant, tourbillonnant, dansant, oh ! non ! ce n’était pas une femme, c’était une pensée d’amour ! À la voir ainsi, au milieu de cette musique aigre et bizarre, entre Isambart et Marguerite, c’était un diamant sur un tas de boue.

Isambart faisait encore l’insipide paillasse, il avait un justaucorps, des bas bleus et blancs et une perruque moitié rouge moitié noire ; sous ce costume grotesque, il disait mille choses plaisantes et ennuyeuses.

Et Marguerite, que faisait-elle ? elle souffrait, elle pleurait en silence.

Oui, mais pour vous ce n’est rien, souffrir, pleurer ?

Je comprends.

Eh bien, chaque spectateur, qui venait regarder avec extase la sylphide, jetait les yeux sur l’autre femme qui était là à quelques pas.

Que faisait-elle ? Des tours de force.

Oui, à côté de cette jeune fille si belle, si fraiche, se trouvait là comme contrepoids, une femme rouge, aux joues épaisses, aux pieds mal faits, à la tenue déhanchée ; elle s’avançait aussi au son de la même musique, et ses pieds touchaient le même tapis que ceux d’Isabellada. Oui, cette femme qui sautait si légèrement, qui vous inondait des éclairs de sa brillante prunelle, qui faisait tressaillir votre corps d’un long frisson d’amour, quand sa robe en passant effleurait vos cuisses, c’était une baladine comme Margue-