Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

larmes couler sur son masque noir et y laisser une trace blanche.

Et la tête de bœuf riait toujours, ouvrant ses larges narines, et ses lèvres s’écartaient avec une stupidité qui avait quelque chose de féroce ; il continua avec plus de vitesse :

— Ce soir, après le bal, quand les lumières seront éteintes, lorsque tu retourneras dans ta tente rejoindre tes enfants, tu entendras, non loin de toi, le bruit des baisers d’amour.

— Oh ! grâce ! grâce !

Et le masque riait de plus belle, il se mit même à agiter ses longues manches autour de la tête de Marguerite et à lui en caresser les joues.

— Et cette femme, que tout le monde admire maintenant, sera à un seul homme, à ton mari.

— Ah ! pitié, Isambart, pitié !

— Tenez, dit-il en riant et en s’adressant au public, en voilà une qui se fâche parce que je lui dis que son mari en caresse une autre.

Il se retourna vers Marguerite et l’amena dans l’embrasure d’une fenêtre. Alors elle ne pouvait plus lui échapper, il pouvait lui cracher toutes ces injures à la face, il pouvait lui raconter jusqu’au bout toutes les peines qu’elle avait eues, lui dire combien elle était laide, lui montrer toute la différence qu’il y avait entre elle et la danseuse, lui peindre jusqu’au dernier détail l’amour de Pedrillo ; il pouvait lui représenter avec chaleur leurs entrelacements dans le lit nuptial, leurs mots à moitié dits, leurs soupirs entrecoupés. C’est ce qu’il fit.

— Tu seras éveillée demain par les éclats de rire d’un enfant, ce sera le leur !

— Oh ! lsambart, que t’ai-je fait ?

— Rien, mais tu me déplais ; tantôt, quand je te voyais faire tes tours, que j’aurais eu de plaisir à jeter de la boue sur ta robe bleue, à tirer tes cheveux, à