Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était toujours gêné comme quelqu’un qui étouffe, il était plus exagéré, plus entêté et plus absurde, seulement il avait une disposition naturelle à rire de lui-même, quand il se regardait à froid, qui était bien loin de la chaleureuse ténacité d’Henry ; celui-ci avait plus de vanité et moins d’orgueil, il comprenait moins bien l’ironie et se serait plus choqué que l’autre si l’on eût fait sa caricature.

Les poiriers étaient en fleurs, les marguerites et les primevères se montraient déjà sous l’herbe, quand Henry revînt chez lui aux vacances de Pâques. Avec quelle joie il embrassa sa mère ! Avec quel plaisir il revit la maison ! quel flux de paroles, avec Jules surtout !

Dès le matin, ils allaient ensemble se promener dans la campagne, ils marchaient dans des sentiers qui tournent entre des cours plantées d’arbres ; arrivés sur la côte, ils s’asseyaient par terre, allumaient leur cigare, et restaient là à causer jusqu’à l’heure du déjeuner.

Il y a une grande douceur à revoir à deux les lieux où l’on a vécu ensemble, à redescendre pas à pas, et se tenant par la main, dans les heures d’autrefois ; c’est recommencer la vie dans ce qu’elle a de meilleur. Ils parlèrent bien de leur passé, mais ils n’y trouvèrent pas autant de charme que s’ils eussent été plus vieux ; la vie est comme tout tableau : pour sembler belle, elle a besoin d’être vue à distance.

Dans l’isolement où il vivait, Jules se délecta de revoir son ami. Il l’aimait, en effet, de toute son âme, plus que lui-même, autant que ses chefs-d’œuvre futurs ; Henry était le seul homme qui le comprît quand il parlait, il avait toujours l’intelligence prête pour recevoir ses idées, l’oreille ouverte pour accepter ses confidences. Henry, de son côté, ne goûta peut-être pas tout le plaisir qu’il s’était promis en revenant chez lui, il pensait à Paris et à Mme Renaud. Dès le lende-