Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/106

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main de son arrivée, il s’ennuya ; il trouva cependant la nourriture excellente et le goût du chambertin toujours agréable.

On venait le voir, le soir, après dîner, pour savoir s’il était changé et pour causer avec lui des plaisirs de la capitale ; les dames lui parlaient de l’Opéra et de la richesse des boutiques, et les vieux célibataires, du Café des Mille-Colonnes et des charmes de Mlle Mars ; puis ils le prenaient à part, dans un coin, et lui demandaient confidentiellement le nombre de ses maîtresses, et toutes les fredaines qu’il avait faites, et tous les maris qu’il avait désolés.

Il ne mentit pas trop et garda un juste équilibre entre la vérité et le respect humain. Néanmoins il prenait parfois des façons de grand seigneur ennuyé, qui déplaisaient fort ; on trouvait aussi qu’il avait l’air usé, résultat probable de ses excès, et les braves gens, qui s’imaginent que Paris est un lieu de délices, où l’on mène naturellement une existence remplie de filets de chevreuil sautés au madère et de princesses étrangères qui vous comblent de présents, se regardaient d’un air discret et disaient entre eux : « C’est Paris, où il y a tant d’occasions, qui l’a rendu comme ça ! tous ces jeunes gens s’y ruinent la santé, je n’y enverrai pas Charles de sitôt ! »

Henry, qui ne voulait pas trop se perdre de réputation dans son pays, et qui tenait à l’estime du public, souriait à tout cela d’un air modeste, acceptant, toutefois, au moins la moitié de l’admiration des sots et du blâme des niais.

Jules lui-même eut du mal à le croire, quand il sut ce qui en était, ça dérangeait les idées qu’il s’était faites d’avance. Henry lui disait qu’il ne voulait pas d’un amour charnel, qu’il lui fallait autre chose, et il lui faisait de Mme Renaud des descriptions charmantes, sans ajouter qu’elle avait peut-être un peu trop d’embonpoint, ni que, dans l’hiver, le froid lui rendait le