Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/107

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bout du nez rouge et les joues toutes plaquées ; il ne lui dit pas non plus tout ce qu’il avait débité à Morel avec tant de chaleur, le jour funèbre qu’il était venu chez lui et que Mme Émilie avait été si cruelle.

Il lui avoua cependant une partie de ses ennuis, mais vaguement, sans préciser les faits, grandissant les petites choses et poétisant les vulgaires, embellissant un peu l’histoire pour faire plus d’effet. Il aimait à parler de son amour avec Jules, et Jules à son tour lui parlait de son drame et de Mlle Lucinde ; c’était un échange de sentiments, où chacun, en recevant ceux qu’on déversait dans son cœur, retrouvait les siens propres.

Quoique Henry, déjà plus au fait de la vie, sentît moins que Jules ces bouillonnements généreux, où l’on voudrait que tout votre être passât dans la personne que vous aimez, il était encore jeune, et propre comme lui à ces espérances communes que l’on se forme à deux, ainsi que ces couronnes de jasmin ou de lilas que les enfants tressent ensemble.

Le cœur est comme la main, d’abord tendre, rose, délicat, puis moins faible, mais faible encore, agile, souple et propre à tout, au jeu et à l’étude ; mais, vite, la peau se couvre de poils et les ongles durcissent ; ils se courbent tous deux selon leur travail ou leur passion, ils ont leur pli et accomplissent leur tâche, la main pétrit le pain ou brandit l’épée, dans le cœur l’envie se distille et l’ambition fermente ; puis ils se resserrent ; ils se cassent, ils se ferment, l’une se dessèche et l’autre s’éteint.

Leur âge était celui où la main tremble en passant sur des tissus soyeux ; où le cœur tressaille en entendant des voix douces demander dans la nuit : Es-tu là ? est-ce toi ?

Jules disait :

— Quand Bernardi sera rétabli, on joue mon drame, tu reviens pour la première représentation, il est ap-