Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/110

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avait renié plusieurs et modifié quelques-unes ; il était moins passionné pour les grands poètes et plus indifférent pour les mauvais. Du reste, il s’était peu occupé d’art à Paris, Jules ne comprenait pas qu’il ne fût pas allé plus souvent au spectacle et qu’il n’eût pas tâché de se lier avec toutes les célébrités de l’époque ; il ne montrait pas non plus cette préoccupation exclusive du beau, qui ne voit dans le monde que des sujets de drame, des antithèses fécondes, et des couchers de soleil.

Mme Artémise, qui chérissait M. Jules et qui était toute disposée en sa faveur, lui envoya, un matin, une épître assez salement pliée, cachetée à coups d’épingles, comme celles que les « tourlourous » adressent à leurs « payses », et toute remplie d’excentricités d’orthographe, à travers lesquelles se révélait la demande, fort claire néanmoins, de la somme de cent francs ; elle en avait un besoin pressant et les lui rendrait dans quinze jours, suivant la formule ordinaire.

Il fallait donc trouver cent francs, n’importe où, n’importe à qui, n’importe comment, il le fallait. Si le désir pouvait faire suer l’argent des murs ou se tirer des entrailles de la terre, le lambris eût ruisselé de louis, le sol se fût entr’ouvert et lui eût envoyé une bouffée d’or. C’est alors, dans ces ardentes convoitises, où l’on trépigne de rage, qu’on rêve le diable et qu’on serait tenté d’y croire pour pouvoir l’appeler à son aide.

En demander à son père ? mais il raillera, il plaisantera, il refusera peut-être ; à sa mère ? ce sera pire encore ; à son camarade de bureau ? mais celui-ci lui avait déjà prêté cinquante francs pour pouvoir fréquenter Bernardi et faire bonne figure au café ; à peine s’il savait comment les lui rendre. À qui donc ? à personne. Vendre ? mais quoi ? Jouer ? joue-t-on en province ? Et puis il lui en fallait de suite, à l’instant, ce devrait être fait déjà.